Saint-Jacques de Compostelle ou Prisciliano de Compostelle ?
Par
Miguel López López -
Pouvez-vous imaginer des millions de chrétiens adorer un hérétique avec l’approbation de l’Église ? Que se passerait-il si l’un des plus grands lieux de pèlerinage du monde s’avérait être basé sur des mensonges ? De nombreuses études et historiens sont convaincus que c’est ce qui s’est passé avec Priscillien et Saint-Jacques-de-Compostelle. La personne enterrée là n’est peut-être pas l’apôtre Jacques, mais Priscillien, un moine condamné comme sorcier. Et dont la doctrine a été déclarée hérésie.
La découverte du tombeau
C'était en 813 lorsqu'un ermite nommé Paio (ou Pelayo) observa des lumières sur une montagne voisine. Il court rapidement prévenir son seigneur Théodomire, évêque d'Iria Flavia (1). Il s'approche du lieu et découvre une nécropole romaine. Dans la nécropole se trouve un tombeau dans lequel se distinguent 3 tombes. Et parmi eux, un en particulier. Les symboles chrétiens présents sur ces tombes mettent l’évêque en alerte. Il décide de l'ouvrir et découvre les restes d'un corps décapité avec la tête sous un bras. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit de l'apôtre saint Jacques le Majeur, flanqué de ses deux fidèles disciples, saint Athanase et saint Théodore.
Priscillien et Saint-Jacques de Compostelle
Prisciliano. Fontaine
Après la découverte, il en informa le roi de León, Alphonse II le Chaste, qui ordonna la construction d'un ermitage sur le site. Cet ermitage sera le germe de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Commodité de la découverte de Saint-Jacques-de-Compostelle
Jusqu’à présent, nous avons l’histoire officielle. Mais il n’est pas difficile de comprendre que la découverte de Saint-Jacques-de-Compostelle convenait parfaitement à l’évêque Théodomire et au roi Alphonse II. Théodomire, comme d’autres évêques, se méfiait de la primauté détenue par l’évêque de Tolède. Avoir une relique d’une telle importance sur son territoire la placerait, à tout le moins, au même niveau. Le roi Alphonse II devait également établir son pouvoir sur les autres rois de la péninsule, unifier son royaume sous le christianisme et trouver une bannière forte sous laquelle combattre les musulmans. Et quoi de mieux pour cela que les reliques d’un apôtre du Christ ?
Comme la découverte leur convenait si bien, ni Théodomire ni Alphonse II n'ont consacré de temps à aucune étude ou recherche par d'autres (aussi rudimentaire soit-elle). D’un autre côté, tous deux ont été prompts à diffuser la nouvelle. En plus d'encourager les pèlerinages sur le site et de construire un temple, le temple rudimentaire de Saint-Jacques-de-Compostelle en l'honneur de l'apôtre Jacques.
tombeau de Priscillien ou de l'apôtre Saint-Jacques à Saint-Jacques-de-Compostelle
Tombeau de l'apôtre. Fontaine
Mais que se serait-il passé si le besoin et la hâte de Théodomire et d’Alphonse II avaient causé une erreur ? Et s’il s’avérait que cet important chrétien, enterré à Saint-Jacques-de-Compostelle, n’était pas saint Jacques le Majeur mais quelqu’un d’autre ?
Santiago était-il en Hispanie ?
La tradition dit que Santiago a prêché dans toutes les terres d'Hispanie. Mais il n’existe pas une seule donnée ni même une source historique minimalement fiable qui corrobore cette tradition ; encore moins de sa présence à Saint-Jacques-de-Compostelle. Tout est basé sur la brève biographie de Santiago écrite par Saint Isidore de Séville (2). Saint Isidore donne des détails sur sa prédication et sur l'emplacement exact du tombeau. Le problème est que les données sont fournies 200 ans avant leur découverte.
Ce fait signifie qu'aujourd'hui il n'est pas considéré comme un texte de saint Isidore, mais plutôt comme un ajout ultérieur. Par conséquent, « la prédication de saint Jacques dans notre péninsule ne peut être affirmée catégoriquement ; il n'y a pas assez de données pour le prouver, mais les raisons contre elle, déduites du silence de la littérature ecclésiastique espagnole et gauloise du Ve siècle et des siècles suivants [...] nous obligent à constater que toutes les affirmations de la venue de saint Jacques rencontrent des difficultés insurmontables » (3).
nécropole de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle
Nécropole sous la cathédrale. Fontaine
L'invention du transfert à Saint-Jacques-de-Compostelle
L’histoire de la traslatio est peut-être la plus étrange de ces difficultés. Du peu que l’on sait avec certitude sur la vie de l’apôtre Jacques, il est mort décapité à Jérusalem(4). Cela crée un problème, car le lieu présumé de sa sépulture, Saint-Jacques-de-Compostelle, est situé à plus de 5 000 km du lieu de sa mort. Pour résoudre ce problème, l’histoire du transfert des restes apparaît. Selon cette légende, les disciples Théodore et Athanase auraient recueilli le corps de l'apôtre et auraient traversé la Méditerranée dans une barque de pierre. Ils arrivèrent ensuite sur les terres d'une reine légendaire nommée Lupa, qui leur permit de l'enterrer sur ses terres.
Laissant de côté le détail du bateau de pierre, il ne semble guère approprié qu'un apôtre du Christ finisse enterré dans une nécropole romaine à Saint-Jacques-de-Compostelle. Cela aurait été un peu moins qu’un sacrilège pour tout judéo-chrétien de l’époque. La reine Lupa n’est pas non plus un personnage très clair pour l’Histoire. Son existence n'a pas été prouvée par les historiens, bien que certains aient réussi à la relier à Jules César.
Prisciliano, le vrai cadavre
Alors, si saint Jacques le Majeur n'est pas celui qui est enterré à Compostelle... À qui appartiennent les restes dans le tombeau ? Compte tenu de cela, de nombreux historiens et chercheurs ne doutent pas qu’il existe une autre figure qui correspondrait parfaitement aux restes de Saint-Jacques-de-Compostelle. C'est Prisciliano.
Priscillien était un évêque, né vers l'an 340 dans la province romaine de Gallaecia (5). Ses idées sur la corruption et le rejet de la richesse, ainsi que son opposition à l’union entre l’Église et l’État, ont eu un profond impact parmi les classes ouvrières. Également parmi les femmes, car il ne les tenait pas à l’écart des affaires ecclésiastiques.
La liturgie priscillienne change la consécration du pain et du vin en lait et en raisin. Cela comprend également la danse lors des cérémonies. Les lectures de l'Évangile (y compris les lectures apocryphes) ont souvent lieu au crépuscule dans les forêts ou les grottes, avec la participation des femmes et même des esclaves.
Condamnation et mort de Priscillien
Face à cela, la hiérarchie ecclésiastique propose de condamner le priscillianisme comme étant un mouvement hérétique. Mais, finalement, ils furent condamnés pour sorcellerie, ce qui favorisa à la fois l'Église, qui conserverait ses biens, et l'empereur, qui pouvait confisquer tous les biens matériels et propriétés des condamnés (6). De plus, parmi eux se trouvaient certaines des familles les plus riches de la péninsule. Finalement, Priscillien et ses plus proches disciples sont condamnés et décapités à Trèves. Les restes de Priscillien furent plus tard transportés dans sa patrie, la Gallaecia, pour y être enterrés. Celui-ci s'est retrouvé plus près de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Cet enterrement d'un chrétien éminent, également décapité, aurait plus probablement eu lieu dans une ancienne nécropole romaine. Condamné pour sorcellerie, il ne lui serait pas permis d’être enterré dans un lieu saint.
Conclusion
Bien que cette théorie sur l'enterrement de Prisciliano à Saint-Jacques-de-Compostelle ait été soutenue par d'importants historiens (7), il n'existe aucune preuve concluante pour la confirmer. Même dans d'autres endroits de Gallaecia, comme San Miguel de Valga (Pontevedra), on prétend que Prisciliano y serait enterré.
Peut-être ne saurons-nous jamais quelles sont les restes véritablement vénérés chaque année par des centaines de fidèles dans la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais ce qui est certain, c’est que, quelle que soit leur appartenance, l’importance de leur découverte et des pèlerinages qui ont suivi ont marqué toute l’histoire de l’Europe. Le prétendu tombeau de l’apôtre et tout ce qui l’entoure sont devenus un phénomène qui dépasse même les connotations religieuses.
Références et bibliographie
Références
(1) La présence de moines dans des ermitages isolés était assez courante à l’époque. San Paio était situé dans l'ermitage de San Fiz de Solovio. Le site est actuellement situé dans la vieille ville. Le village de Solovio appartenait à l'évêché d'Iria Flavia, aujourd'hui Padrón (La Corogne), dont le primat était Teodomiro.
(2) Saint Isidore (556-636) était archevêque de Séville et un érudit ayant écrit un grand nombre d'ouvrages littéraires et historiographiques. C'est dans son livre De la naissance et de la mort des pères qu'il parle de l'apôtre Jacques.
(3) Texte de Ramón Menéndez Pidál, philologue et historien, membre de la Génération 98.
(4) Il est prouvé qu'Hérode Antipa a ordonné sa décapitation en l'an 44 après J.-C.
(5) Prisciliano étudia à Burdigala (aujourd'hui Bordeaux) et fonda à proximité une communauté religieuse de caractère ascétique et rigoureux, précurseur du mouvement monastique. Plus tard, il retourna au nord-ouest de la péninsule pour continuer son travail de prédication.
(6) La condamnation pour hérésie signifiait que tous les temples appartenant au priscillianisme devaient être détruits et que toutes les propriétés passeraient aux mains de l’État. Lorsqu’elle était reconnue coupable de sorcellerie, l’Église pouvait conserver la propriété des temples. L'empereur pouvait également confisquer les biens des condamnés. Beaucoup de ceux condamnés par le priscillianisme appartenaient aux familles les plus riches de la péninsule.
(7) Par exemple, l’historien Claudio Sánchez Albornoz, devenu ministre pendant la Seconde République et président du gouvernement en exil ; et d'autres chercheurs.
Littérature
Barrero, A., 2013, « Le tombeau de Saint Jacques le Majeur », preguntasantoral.es, 25 juillet. [Article de blog. [En ligne] Disponible sur :
http://www.preguntasantoral.es/2013/07/tumba-de- santiago-apostol/ (19 septembre 2018)
Caamaño Gesto, J. M., 2007, « Une Galice romaine » dans Barreiro Fernández, X. R., Beramendi González et al., A Gran Historia de Galicia, Édition La Voz de Galicia
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